Nous le connaissons tous dans nos métiers, celui qui arrive après tout le monde. Il commence souvent son intervention par "Désolé, j'arrive après la bataille" et s'ensuit tout de suite un "Mais...". Et derrière, l’avis, le sentiment, l’opinion de celui qui arrive après tout le monde est essentiel. Pour une raison simple, qu'il tape juste ou à côté, il casse un certain nombre de certitudes : celle d’avoir raison, celle de se faire comprendre, et bien d’autres. Il nous fait douter. Non pas de nous. Mais de la réponse à apporter. Et c’est tant mieux.
L’ordre naît du chaos.
L'avantage d'arriver après tout le monde est clair : Il a tout lu, tout entendu. Tout et son contraire. Des nuances et des non-sens. Des projets et des peurs. De l’inspirant comme du désespérant.
Dans l’agence dans laquelle je travaille, il nous arrive régulièrement de jouer à cela quand le sujet s'y prête : nous faisons venir celui qui arrive après tout le monde, parfois même la veille d'une soutenance. Non pas parce que l'on aime se faire emmerder, mais parce que cela nous permet, souvent, de mettre le doigt sur ce qui fonctionne moins bien, tant dans l'histoire que dans l'exécution du concept.
Celui qui arrive après tout le monde nous permet de sortir la tête de l’eau, de nous détacher émotionnellement de notre travail. Et si personne n'aime cela, parce qu'il nous pousse là où on ne veut pas aller, il est important de pouvoir se questionner à nouveau et peut-être apporter une réponse plus forte, plus impactante.
Celui qui arrive après tout le monde vient créer du doute. Et c’est tant mieux. Parce que le doute nous amènera à un monde nouveau. Et qu’il ne faut pas l’empêcher d’arriver ce doute.
Disclamer : Cette personne qui arrive après tout le monde est rarement appréciée lorsqu'elle joue ce rôle, et ce même quand on lui demande de jouer ce rôle. Oh je sais, personne ne me l'a demandé. Et j'écris après tout le monde. Alors vous n'allez sans doute pas m'aimer. L'avis que je vais donner ne vaut rien au regard du futur que nous allons vivre. L'avenir, finalement, seul le futur le connait. Je ne fais que poser une pensée et vous invite à la suivre ou la critiquer ; et vous allez le voir, à en douter.
Parlons du monde d'après
Voilà sans doute le dessin du monde d'après que je trouve le plus cohérent ou en tout cas celui qui me parle le plus. La feuille n'est pas vide, elle est neutre. Elle n'est pas blanche, elle est propre. Elle dit tout et surtout elle ne dit rien. Rien sur tout et tout sur rien. Elle a raison et elle a tort. Et il se peut que nous ayons tort de se dire qu'elle a raison.
Cette photo, c'est tout ce qui a été écrit.
Du chaud, du froid, de l'émotion et du rationnel. Tout a été théorisé. Le présent, le futur, le passé. Un présent qui d'abord nous fige au sol et qui pour certains est un signal.
Celui d'un monde qui arrive et qui sera enfin égalitaire, respectueux de l'humain, de la nature, de la vie, du bonheur. Un présent qui résonne comme un cri étouffé entre nos 4 murs en espérant que le futur l'entende.
Pour d'autres c'est une épreuve dont nous aurons du mal à nous remettre. J'aimerais croire les premiers. Mais je doute. Je doute que l’on puisse savoir si nos intentions seront suivies d’actes. Je doute que le nouveau monde qui naîtra de ce chaos sera celui que l’on espère.
Je doute. Et c’est tant mieux.
Nous nous regardons, nous.
Nous nous regardons - notre environnement, notre milieu, nos amis - parce qu'il n'y a presque que cela à faire. Seul, en famille, essayant de nous (dé)battre pour nos métiers, pour qu'ils servent encore demain. Et nous réussissons des prouesses que nous ne pensions pas possibles hier. Travailler ensemble à distance, tous ensemble, inventer de nouvelles façons d'avancer, expérimenter pour s'aider. Se faire confiance sans savoir, sans se suivre, sans être sûrs.
Alors nous nous disons que nous savons faire, que la transformation a opérée. Que plus rien ne pourra nous arrêter parce que nous sommes capables de continuer, d’être opérationnels à l’agence, chez nous, partout.
Mais nous ne voyons que nous.
Internet, bien sûr, nous ouvre une fenêtre.
Nous y voyons une certaine Amérique sombrer, une Chine semblant se relever, nous voyons des chiffres qui nous font frissonner, des drames professionnels ou personnels, nous voyons le stress chez nos amis, nos clients, nous parlons avec des profils à risque, nous regardons les chiffres. Nous questionnons la démocratie, nous doutons des leaders, des riches, des beaucoup moins riches, des voisins et des gens qui portent un masque ou non. Nous doutons de l’économie, de la relance, du redémarrage concret de tout, partout. Nous doutons... Nous doutons parce que nous ne savons pas et pour une fois, nous savons le dire "Nous ne savons pas. Nous n'avons pas la réponse."
Elle est peut-être là la crise, ou la vérité de ce qu’il faut se dire pour l’accepter. Personne ne sait. Tout le monde doute. Et c’est tant mieux.
Tout pourrait s'arrêter là.
On s'embrasse et on s'arrête. Parce que le doute, on le sait, est mauvais pour l'économie. Il stresse les ménages français et les tient éloignés de leurs futurs crédits et des dépenses accessoires. Le doute est mauvais pour la croissance. Et sans croissance…
En regardant les manifestations, armes à la main, contre le confinement, les files d'attente en Chine devant les magasins de luxe le premier jour du déconfinement ou surtout, en pensant à certains pays qui n'avaient les moyens de rien le jour d'avant… Permettez-moi encore de douter du jour d’après.
On peut rester comme ça, ne rien bouger. Simplement parce que l’on doute. Ou faire un pas de côté et regarder le doute autrement. Oui. Parce que le doute a ses vertus et il ne tient qu'à nous de les écouter.
Ce doute, si flippant, nous offre peut être un monde d’opportunité si nous tentons de l'écouter. Il nous force à l'humilité face aux certitudes. Il nous pousse dans nos retranchements pour exploiter des hypothèses que nous n'avions pas en tête. Il nous incite à ne pas être seul, à demander des avis, parfois de l'aide. Le doute nous invite à expérimenter, même si nous avons tort (parce qu'il se peut que nous ayons raison). Il nous invite à créer, créer et créer toujours plus pour passer outre ces doutes !
Alors je doute. Et c’est tant mieux.
Galilée disait que "le doute est père de la création".
Notre métier est un métier de doute. De doute parce que nous ne sommes pas propriétaires de notre travail. Nous ne travaillons pas pour nous, mais pour vous. C’est un métier de doute parce que nous ne savons jamais si l’on gagne, au moment où l’on joue. Nous avons coutume de dire qu'il n'y a jamais une seule bonne réponse, mais, bien heureusement, nous sommes libres d'avoir foi en nos idées et nos projets. Et le client est aussi libre d’y croire ou non, quels que soient nos idées, notre expertise ou notre travail, aussi excellent qu’il puisse être.
Nous, agence, ne sommes pas au sommet de la chaîne alimentaire du capitalisme. Non. Mais nous en sommes un maillon évident. Ou plutôt nous sommes sur le côté et nous soufflons à l'oreille du capitalisme pour l'aider, l'orienter, le faire gagner, le rendre vertueux aussi et faire tout pour engager les marques, l'interne, leurs clients.
Nous avons un rôle à jouer pour le monde d’après. C'est très net. Mais nous avons une certaine dépendance au monde. Nous sommes des messagers, des rêveurs, des conseillers et - en prenant le risque d'en faire sourire certains - des utopistes. Et notre engagement ne vaut que s'il est partagé par tous dans notre milieu. Nos concurrents, nos clients, les clients de nos clients et dans certains cas, les clients des clients de nos clients !
Et je doute. Et c’est tant mieux. Je doute parce qu’il va falloir reconstruire, rassurer, réengager. Et le faire vite. Mais je doute aussi que l’on ait envie de le faire vite et mal.
On nous parle de vie d'avant, de vie d'après.
Comme si la vie, elle-même, était en pause. Comme si un mur pouvait tomber et nous libérer. Comme si, nous humain, nous nous transformions, devenant soudainement ce que nous aurions toujours dû être.
J’en doute. Et c’est tant mieux.
Tant mieux parce que je reste éveillé. Et parce que nous avons un rôle à jouer, nous, créatifs. Celui de tester, de tenter, d’imaginer les actions, les raisons d’agir qui nous mettrons agences, marques, au service de chacun.
Demain, l’intention ne suffira sans doute pas. La Raison d’Être aura peut-être un goût de trop peu.
Alors nous allons créer. Créer. De ça je ne doute pas une seule seconde. Nous allons penser, imaginer, produire, créer pour mettre cette Raison d’Être en action.
Et nous y arriverons. Et ça sera tant mieux.
On s'en parle ?